Jeune Afrique
Les Peuls — Enquête sur une identité remarquable
N° 2721. 3—9 mars 2013. pp. 24-35
François Soudan |
Ils sont sans doute près de trente millions en Afrique. Présents dans une quinzaine de pays, ils partagent la même langue, la même culture, et alimentent souvent les mêmes fantasmes.
Rencontre avec un peuple sans frontières.
Après les Berbères, les Bamilékés —les anglophones du Cameroun—, les Fangs, Jeune Afrique vous entraîne à la découverte de l'une des communautés les plus complexes et sans doute les plus fantasmées du continent : les Peuls. Une trentaine de millions d'individus réparties sur quinze pays, du Sénégal au Soudan, connus sous une bonne dizaine d'appellations différentes, se réclament de la « pulanité » chère à Ahmadou Hampâté Bâ. Ils partagent les mêmes origines mythiques, les mêmes références historiques faites d'Etat théocratiques comme ceux du Macina, du Fouta-Tooro ou du Sokoto, et les mêmes personnages emblématiques — Ousmane dan Fodio, Sékou Amadou, Amadou Barry… Une même réserver aussi, un savoir-vivre subtilement codé (le fameux Pulaaku) et une hiérarchie de fer que l'urbanité et le modernisme érodent toutefois peu à peu.
Eleveurs, commerçants, intellectuels, cadres, les Peuls ont depuis les indépendances connu des fortunes diverses, de la persécution ouverte — en Guinée, sous Sékou Touré, en Mauritanie au début des années 1990, au Cameroun en 1984 — à la présidence de la République.
Trois anciens chefs d'Etat du Nigeria (Muhamed Buhari, Shehu Shagari, Umaru Musa Yar'Adua), Ahmadou Ahidjo (Cameroun), Amadou Toumani Touré (Mali) et Thomas Sankara (Burkina Faso), Ba Mamadou Mbaré (ancien président p.i. de Mauritanie) ont ou avaient des racines peules.
Aujourd'hui, les présidents sénégalais Macky Sall et bissau-guinéen Serifo Nhamadjo appartiennent à cette « planète peule », même s'ils n'en font guère mention.
Il en va des sociétés peules comme de toute autre communauté. La conscience d'une identité durable fondée sur un capital culturel commun est source de richesse et participe de la diversité qui fonde une nation équilibrée et tolérante. La victimisation, le complexe de supériorité d'un côté, les stéréotypes meurtries de l'autre, sont inévitables dès lors que la revendication identitaire se confond avec la revendication politique. Pour accepter les différences et éviter toute tentation exclusiviste, on n'a rien trouvé de mieux que la démocratie et la bonne gouvernance. Ou que cette recommendation d'Amadou Hampâté Bâ, le plus célèbre des écrivains peuls francophones : « Toujours concéder à son prochain qu'il détient une parcelle de la vérité … »